samedi, mai 21, 2005

Radotage

Hier, c'était le 25e anniversaire de la défaite référendaire. En 1980, je m'étais dit que je n'oublierais jamais cette journée, et j'ai tenu ma promesse. Depuis 25 ans, je porte le deuil de ce 20 mai 1980, et le souvenir de "Si je vous comprends bien, vous êtes en train de dire À la prochaine fois". Que j'ai vu en direct ! En pleurant ! et non, ce n'est pas une légende pour qui serait né après 1975.

C'est pourtant avec plaisir - je parle des heures qui ont précédé le vote - que je me rappelle de cet événement. Je savais que je radoterais le référendum de 80 jusqu'à ma vieillesse. Même que j'ai dit à mes élèves hier : "Aujourd'hui, c'est le 25e anniversaire de la défaite référendaire" (comme certains vieux radotent la Deuxième Guerre mondiale ou déjà, la Guerre au Vietnam), et ils m'ont évidemment demandé si je suis "indépendantiste". Sans hésitation, j'ai répondu par l'affirmative; j'enseigne aux "ethnies", et si on se donne la peine de leur expliquer la bataille politique du Québec, ils comprennent très bien. J'ai vu dans les yeux d'un élève immigrant comme un éclair d'inquiétude : la prof, xénophobe, raciste ? Je ne sais vraiment pas ou les immigrants peuvent pêcher ça... ou comment ils en arrivent à cette conclusion. Grrrrrrr Puis, j'ai mis la vidéo à "on" pour regarder "Hôtel Rwanda", présenté dans le cadre du cours de morale sur la politique internationale.

Bien sûr, "nationalisme" peut être un mot dangereux. Heureusement, le discours sur les "Anglais" a bien changé. On n'entend plus dire qu'ils sont les "colonisateurs". Je dirais en aparté que j'ai regardé un film torontois hier. Jamais rien vu d'aussi fade de toute ma vie. Ainsi, c'est même un peu avec condescendance que nous regardons la culture "canadian". Vous savez, moi, les cowboys de l'Ouest, les Rocheuses, Toronto... ça ne m'enrage pas, ça me fait rigoler. Le seul Anglais pour qui j'ai une grande admiration, c'est le ténébreux Leonard Cohen. Il est Québécois, après tout. Mon type d'homme en plus...

Par ailleurs, on ne parle pas assez du vrai problème des "canadians" : ils sont carrément bouffés par la culture américaine. Leur littérature (oui, elle existe), leur identité. C'est leur souffrance. Les Québécois ont le français pour se protéger de l'assimilation. Peut-être en sont-ils un peu jaloux.

Bon, j'en reviens au référendum de 80 et de l'espoir qui gravitait autour.

C'est au référendum de 80 que j'ai pratiqué pour la première fois mon droit de vote. C'est donc René Lévesque qui m'a enlevé ma virginité d'électrice.

J'ai évidemment participé au "pointage" dans mon quartier. Le "pointage", c'est tâter le pouls de l'électorat en faisant du porte-à-porte (quand on fait ses études universitaires en linguistique, il faut croire qu'on a du temps à perdre).

Les mois d'avril et mai se sont passés à pratiquer mon porte-à-porte, avec mon drapeau du Québec collé à ma robe indienne (ben oui, c'était la mode...). Ça fait Gratton de gauche, non ? Je ne me rappelle plus du numéro de ma circonscription. Je sais cependant que j'ai remporté la palme avec un "oui" à 90 %. Au fait, qu'y avait-il dans ce foutu quartier pour qu'il ne soit pas à l'image nationale ? Il y aurait eu une belle enquête sociologique à y mener, je vous dis.

Je vous parle de ma visite la plus étonnante.

Je sonne à la porte d'un bungalow finalement assez cossu, mais banal. Construction des années 60. Un homme d'une cinquantaine d'années, assez marginal - cheveux longs et chapeau de cowboy, tiens, à qui je sors mon baratin de présentation - ouvre grand la porte, toutes pupilles agrandies. Il me dit : Viens dans mon sous-sol, tu vas connaître ma façon de penser". Angoisse. J'ai hésité, puis je me suis dit que je connaissais son adresse, après tout; et son nom. Si je me faisais tabasser pour mes opinions politiques, je saurais au moins qui en est le responsable.

Je descends les marches avec crainte, pensant qu'il pouvait également s'agir d'un opportuniste.

Les murs étaient tapissés de drapeaux du Québec, de posters de René Lévesque, un drapeau des patriotes ici, et une photo de Bourgault là. Soupirs de soulagement, tout à coup. Disons que mon petit baratin n'était plus rien après son sermon sur la montagne qui a bien duré une heure sur l'indépendance du Québec. Cours d'histoire du Québec de 4e secondaire en accéléré.

Il met un terme à la conversation en me demandant : "Me demandes-tu encore si je suis indépendantiste?" J'ai quitté la maison, soulagée.

Une fois, j'ai subi un très mauvais accueil, une seule fois. Une vieille dame avait peur que je n'entre dans sa maison de force. Et me criait des bêtises à la manière de Maurice Bellemare sur le P.Q. J'avais beau la rassurer, elle continait quand même de crier sur son perron, jusqu'à ce que je ne sois plus visible.

Mais j'ai vu aussi des gens de 70 à 80 ans, indépendantistes.

Jour du référendum : 19 h, dépouillement des votes, le "oui" dans notre quartier à 90 %, comme prévu. J'entre à la maison et je vois René Lévesque désolé devant les caméras.

Plus rien à dire. Sauf la promesse que je me suis faite à moi-même de me rappeler du 20 mai 1980. Et que j'ai eu honte d'être Québécoise ce jour-là. Comme tous ceux qui, ce jour, avaient eu l'audace de voter "oui" et de risquer ses Rocheuses. J'ai détesté, en ce jour, toutes les Yvette réunies au forum.

Document de Radio-Canada : http://archives.radio-canada.ca/IDC-0-17-1294-4212/politique_economie/referendum_1980/clip8