Laideur...puis beauté
Les pitounes sur la rivière Saint-Maurice; le tas de billots qui déboulent la nuit; la fumée des cheminées de la Consolidated Bathurst; les duplex; les enfants qui jurent; l'école Sacré-Coeur; les trois trisomiques du quartier qui répétaient ad nauseam les mêmes paroles; l'Italien qui appelait sa fille en criant; celle qu'on appelait la Dimitri, un peu folle; la balançoire de l'absurde dans notre cour arrière; la boîte à lunch en métal de mon père; la voisine qui se tapait son beau-frère; le jeune brûlé par la colle à tapis; la bonne femme Mailhot en gougoune dans la rue sur la crise de nerfs; le bonhomme Mailhot saoul comme une botte; les coups de règle de la maîtresse d'école sur la tête des enfants pauvres; la coupe de cheveux de Pauline, une camarade de classe au primaire; la platitude de la course annuelle de canots entre les pitounes; les boucs émissaires du primaire; les vieux vêtements de ma soeur que je devais porter; les noms méchants que les enfants criaient dans la cour d'école; la commère du logement d'à-côté; le jet-set psychiatrique du quartier; les gars qui rotaient dans la classe en 6e année; la salle de pool chez Vic; le nez en l'air des filles de bonnes familles; la balade en char du dimanche jusqu'à la Caillette de Maskinongé.
Mais il y avait les frères Tancred de l'autre côté de la rue Toupin. Les frères Tancred à qui ma soeur et moi rêvions en silence. Les intellectuels du quartier. Ces grands blonds-là (type californien bien bronzé et tout et tout) passaient du temps sur leur galerie en silence, en se donnant un air imbécile.
Et il y avait les cours de piano chez Brigitte Loranger. Et la maison de Brigitte Loranger. Avec les tapis de Turquie, les photos anciennes, les meubles XIXe, l'immensité du mobilier de cuisine. La chevelure de la mère, toute blanche, qui dévalait jusqu'à ses hanches.
Il y a eu Miquette, ma chienne, qui a accouché de trois chiots.
À trois rues, il y avait la maison de grand-maman, ou ça vivait.
Il y avait Pour Élise que ma soeur jouait magnifiquement à 12 ans.
Et voilà, pour aujourd'hui, ce qui me vient de mon imaginaire d'enfant.
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