mardi, mars 22, 2005

Au bar de l'abîme

Pierre longe un corridor à sens unique menant invariablement au bar Le Flambeau.

Pendant ce temps, Jean est penché sur sa table ou des bouteilles vides forment un jeu d'échec.

Jean lève la tête, et entend des claquements sur le plancher. Un long fouet claquant s'approche:

Pierre : Huit ans avec Marie, et elle a décidé de me quitter.

Jean : Une de perdue, dix de retrouvées.

Pierre : On m'a remis mon contrat pour l'organisme communautaire. Petite job dans un centre de suicide ou les curés de la cause sociale se font bonne conscience. Dis donc, Jean, tu ne pourrais pas te réveiller?

Jean : Le suicide, le suicide, c'est le choix de chacun.

Pierre : Hier, l'un d'eux a trépassé. Il avait pris le contenu de ses pilules, avec une caisse de 24 pour faciliter la descente. Il est mort que quelques minutes après son appel au centre.

Jean : C'était son karma.

Pierre (se levant afin que tous les habitués l'entendent) : Et puis cette annonce de Marie hier soir... Y a plus d'amour, Jean ! Y a plus d'amour ! C'est quoi, l'amour? Tout le monde a besoin d'amour ! Du fonctionnaire à la pute ! Qu'est-ce qu'on en a fait, Jean, qu'est-ce qu'on en a fait?

Jean (en posant une main astreignante sur l'épaule de Pierre) : Regarde cette toile et vois ces branches d'arbres qui montent vers le ciel. Ça me rapproche du divin.

Pierre : Du divin? Cet arbre, Jean, regarde-le : il tombe en décripitude ! L'amour est mort ! L'amour est mort ! Et on croit que ça s'achète ou que ça se paie... Et puis Marie...

Jean : Qu'est-ce qu'on peut y faire? Envoie ça dans l'Infini de l'Univers !

Pierre : L'Infini de l'Univers? Quand l'amour est mort, on baisse les bras ! Secoue-toi Jean !

Jean : Une autre bière, Pierre ? Et puis... oublie ça...

Pierre : André, deux autres bières.